Alvin s'était réveillé un peu en retard, ce matin-là, même si pour quelqu'un comme lui le retard n'existait pas. En effet, même les clients pressés par le temps ne pouvaient que s'incliner tant l'homme avait une expertise irréprochable et qu'il faisait son maximum dans les affaires qu'il choisissait. On peut dire qu'il sélectionnait uniquement ce qui l’intéressait, en réalité, car justement il pouvait se motiver et surtout motiver les clients de par son sérieux à payer de façon honnête. Après tout, il avait une sale réputation concernant les clients qui ne payaient pas. Il sortit de son lit fébrilement, peut-être bien fiévreux, pour se diriger vers la salle de bain où il se regarda droit dans les yeux ridés par l'usure du travail, cette mine affreuse qui dit à tout le monde "Bonjour, j'ai travaillé toute la nuit et ce matin je me suis levé à l'arrache!". L'homme soupira longuement en se passant un coup d'eau glacée sur le visage, lui donnant un coup de fouet nécessaire à son réveil. Il se déshabilla alors, ôtant son boxer et son t-shirt qu'il gardait uniquement pour éviter d'attraper une surenchère de maladie, avant d'entrer dans la douche, le carrelage glacé le faisant frémir des pieds à la tête, tandis qu'il commençait à activer l'arrivée de l'eau.
N'est-ce pas magnifique que de pouvoir profiter d'une eau chaude, presque bouillante, au réveil? N'est-ce pas là ce qui prouve que le bonheur est fait de petites choses? Un peu d'eau chaude et son corps tendu au possible seulement quelques minutes de cela devint aussi apaisé que s'il dormait dans un lit de nuage. Il s'appuyait contre son mur, fermant les yeux, le liquide venant se déverser sur lui à répétition, en abondance, à n'en plus finir. Le temps semblait se disloquer et là il se mit à sourire: son métier était parfait. Il en oubliait le stress de l'enquête, il laissait de côté les doutes, les réflexions, il se vidait l'esprit de toute chose pouvant le relier à son activité. Il se sentait bien.

Après plusieurs minutes - peut-être une bonne vingtaine - à rester dans cette salle fumante, il en sortit sec et neuf, prêt pour la journée. Il partit s'habiller, enfila sa veste après un t-shirt plutôt épais, puis enroula son écharpe autour de son cou, afin de rester au chaud malgré l'hiver qui pointait le bout de son nez. Alvin sortit de l'agence juste après avoir savouré son chocolat viennois, ferma la porte à clé et se rendit au centre-ville, le soleil réchauffant son petit nez et le vent transportant les senteurs de la ville à ses narines. Son souffle émettait une buée brumeuse malgré tout et il tomba, sans doute par hasard, sur un prospectus qui vantait les mérites de la Cascade Merveilleuse, un lieu unique selon eux, proche de la ville. Après tout, il n'avait pas grand chose à faire ce jour-ci, alors pourquoi ne pas y jeter un oeil? Il prit donc la direction du fleuve aux oiseaux pour arriver à cette fameuse cascade.
Plus loin, après environ une heure de marche seulement, il se retrouvait en pleine nature. Étonnant est le fait qu'on puisse passer d'un paysage urbain à la nature sauvage en si peu de temps. Quoi qu'il en soit, il marchait prudemment sur les rochers presque tous mousseux de la rivière afin de passer d'une rive à l'autre pour continuer son avancée. Il entendait d'ailleurs les animaux autour de lui chanter, accompagnant se paysage si magnifique de la lumière perçant les feuillages pour venir se propager d'un éclat cristallin sur l'eau semblant si pure de cet endroit. Tout semblait si parfait.

Encore après un peu de temps de marche, il arriva à la cascade. Une sublime perspective de la force aquatique de la nature, près de dix ou peut-être bien douze mètres de haut, un petit lac d'une splendeur aveuglante, une odeur de fleurs particulièrement attrayante, un régal pour les sens du jeune détective qui avait quand même du mal à en croire ces yeux... Malgré toute la puissance dévastatrice de l'urbanisation, des lieux comme celui-ci persistaient, ils démontraient aux yeux de tous que la nature était bel et bien encore là et qu'elle était la plus grande et la plus belle. Alvin se massa sereinement la nuque de la main droite en laissant sa bouche légèrement entrouverte d'extase, il continuait sa marche au ralenti, ayant du mal à reprendre ses esprits. Après tout, cette cascade était presque la même...

"Elyana... Tu te rappelles? Tu m'emmenais dans un endroit comme ça autrefois..."

Il parlait à haute voix sans s'en rendre compte. Oui, Elyana l'avait emmené voir une aussi belle cascade, il y a fort longtemps. Elle les avait emmenés, lui et son frère, admirer la beauté de la nature, tandis que leur père les prenait en photo. C'était le bon vieux temps... La femme avait été autrefois un modèle pour le jeune homme, après tout elle rayonnait d'un bonheur de vivre à toute épreuve. C'est elle qui avait eu l'idée de son vrai prénom, Noctis. Ironie du sort quand on sait qu'Alvin travaille sur un homme portant ce prénom... Quoi qu'il en soit, il se prit la tête entre les deux mains: ce temps était révolu, il fallait l'oublier.
Elyana n'était plus qu'un souvenir désormais hanté par ce qu'elle est devenue pour lui. Une mère folle de la mort de son mari, une mère qui n'aimait plus son enfant. La mère qui a obligé Noctis à fuir et changer d'identité. La seule et unique responsable des problèmes d'Alvin.