« L'homme n'est pas fait pour travailler et la preuve, c'est que ça le fatigue ! »
Paul Tristant Bernard

Journée chargée aujourd'hui pour la jeune directrice de Lost School. En effet, la rentrée était dans un mois et elle devait préparer les papiers, les nouveaux professeurs, répartir les élèves dans les classes ainsi que gérer la répartition des classes aux professeurs. Dalya se passa une main sur le front, elle était dans son bureau et venait de terminer les tableaux des collègues. Elle se mit debout et sortit de son bureau, indiquant à sa secrétaire qu'elle s'absentait. Elle alla accrocher les feuilles dans la salle des professeurs et ressortit pour aller marcher un peu dans les jardins du manoir. Elle devait aussi superviser le bon état du parc qui faisait la fierté de l'école. Tsukio s'étant absenté pendant quelques jours, elle devait absolument tout gérer.

Finalement après une matinée entière à râler auprès des jardiniers pour que tout soit parfait, la tornade rouge revint dans le manoir. Elle passa par la salle des professeurs pour se prendre un café quand elle entendit piailler avec une certaine mauvaise humeur :

- Quelqu'un sait où se trouve la directrice?

La jeune femme qui tournait le dos au reste de l'assistance se retourna, le regard enflammé. Elle n'était pas dupe et s'occupait d'élèves toute l'année, or le jeune homme ici présent semblait passablement agacé de ne pas la trouver.

- Je suis là. Il y a un problème, monsieur ? Demanda-t-elle d'une voix impassible.

Les autres professeurs qui connaissaient Dalya depuis très longtemps sentirent qu'elle n'avait que peu apprécié le ton peu sympathique du nouveau professeur. Attrapant son café d'une main, la jeune directrice s'approcha de la personne en question et le détailla quelques instants, reconnaissant un des nouveaux de cette année dont elle avait vu la photo sur un CV. Elle trempa ses lèvres dans le liquide brûlant et lâcha un léger soupir, venant se planter juste devant lui et fixant son regard d'améthyste dans le sien.

- Vous me cherchiez, monsieur Miketsukami ?

La jeune femme était dotée d'une excellente mémoire, or, lui l'avait marqué puisqu'il s'agissait d'un Kitsune. À cause de son passé, la rousse avait quelque peu de mal à ne pas se méfier de ces rusés hybrides mais pour autant, Dalya garda son calme. Sa longue et épaisse chevelure rouge tombait en cascade ondulées dans son dos et elle portait une courte jupe noire assortie d'un corset grenat qui mettaient en valeur ses formes voluptueuses. C'était sa tenue habituelle de travail et il y avait sans doute de quoi déstabiliser le jeune Soushi qui ne l'avait jamais rencontrée auparavant puisqu'elle l'avait embauché par téléphone.

Ses yeux violacés ne quittèrent pas ceux étranges de son collègue et la jeune femme laissa enfin un fin sourire se dessiner sur ses lèvres. Elle savait pourquoi il était là mais légèrement tête-en-l'air, la jolie rousse en avait oublié de lui donner rendez-vous à son bureau pour en parler. D'un geste de la main distingué, elle but une nouvelle gorgée de café et croisa son bras libre sur sa poitrine avant d'ajouter, calmement :

- Vous ne trouvez pas votre salle, je sais. Je devais vous faire venir à mon bureau mais mon sous-directeur étant absent, je dois gérer beaucoup de choses urgentes et j'ai donc oublié.

Elle l'invita à s'asseoir avec elle à une table de la salle sous le regard soulagé des autres collègues qui redoutaient l'une des célèbres et violentes colères de la jeune femme. Dalya prit place et attendit que le jeune homme la rejoigne.

- Il s'agit tout simplement de vous demander si vous préféreriez une salle unique pour toute l'année ou si changer régulièrement de salle vous dérangerait ? Elle attrapa un bout de papier ainsi qu'un stylo qui traînait et prit note du nom de son collègue, attendant sa réponse. Ensuite, j'aimerais que vous me disiez si vous souhaitez une décoration particulière pour votre nouveau bureau et, si vous choisissez une salle à vous, pour votre salle de classe. J'ai pour habitude de bien loger mes collègues et de leur offrir les meilleurs espaces de travail.

Calmement, elle posa le stylo sur la table et croisa ses doigts, coudes sur la table contre sa bouche, ses yeux à la couleur si étonnante ne se détachant pas de ceux du renard. Elle continuait de la jauger visuellement, le trouvant plutôt mignon, c'était indéniable...

Tout en écoutant les dires du jeune homme assis devant elle, Dalya notait ses demandes sur son bout de papier. Dès qu'il eut fini, elle le plia et le glissa dans son soutien-gorge, ne pensant pas à la surprise qu'elle allait sans doute créer chez le jeune professeur. Elle le suivit du regard lorsqu'il alla se prendre un café et attendit qu'il revienne avec elle pour se mettre debout et lui indiquer le casier au nom de Soushi Miketsukami et eut un sourire franc et jovial :

- La liste de vos élèves se trouve dans votre casier, je l'y ai glissée ce matin en venant accrocher les tableaux.

Elle fixa le regard bleuté du Kitsune et haussa légèrement les épaules quant à sa dernière question. La jeune directrice n'était pas du genre à chercher à tout connaître sur ses collègues, seuls les résultats à l'année comptaient pour elle. Ce qu'elle savait déjà de lui était amplement suffisant pour elle. Il aimait travailler à l'air libre et n'irait que très peu à son bureau. En simple ? Elle aurait toujours beaucoup de mal à le trouver. La jeune femme alla à son propre casier et l'ouvrit pour prendre une pile de papiers laissés là par certains collègues à propos des nouveaux manuels commandés cette année.

Dalya posa le tout sur la table où elle était installée avec Soushi et soupira, lassée et se passant une mèche d'un rouge vif derrière l'oreille. Elle sentait toujours le regard du jeune homme sur elle et décida d'entamer une conversation moins formelle afin de l'intégrer un peu à l'équipe. Elle savait ce que cela faisait d'être nouvelle. qui plus est nouvelle directrice à son jeune âge. Sans compter qu'étant un peu flemmarde et n'aimant que rarement travailler enfermée dans son bureau, elle comprenait le renard. Elle sourit et levant le regard vers lui, plaisanta :

- Travailler dehors, c'est ça ? ... Nous sommes en montagne, vous savez, monsieur Miketsukami. L'hiver, la neige recouvre tout le paysage et il fait un froid de canard... Mais l'été, au contraire, l'air est si doux et si pur que travailler en dehors de mon bureau est pour moi un grand plaisir...

Gentiment, la jeune directrice lui fit un clin d'oeil pour montrer qu'elle n'avait aucune rancoeur quant à son comportement un peu plus tôt. Elle avait vite lu la surprise sur le visage de Soushi lorsqu'elle s'était présentée à lui, elle si jeune et si... impétueuse. Car oui, la jolie rousse était une véritable tornade qui était capable de tout dévaster sur son passage lorsqu'elle était en colère. Sans compter qu'elle ne se laissait guère marcher sur les pieds. Ni par un humain, ni par un hybride d'ailleurs. Au début où elle avait été nommée au poste, ses autres collègues avaient été sceptiques et avaient insulté l'ancien directeur de fou. Pourtant, avec le temps et voyant comme la jeune femme se débrouillait parfaitement bien avec son travail, ils avaient fini par la respecter et l'accepter en tant que chef d'établissement.

Finalement, tout en triant la paperasse, elle se mit à chantonner légèrement et prit une gorgée de son café. La caféine était sa nouvelle drogue depuis deux ou trois mois, lui permettant de tenir la cadence en cette période de rentrée scolaire et de changements. Elle s'arrêta quelques instants et releva son joli regard dans celui du jeune professeur qu'elle trouvait décidément bien mignon derrière ses airs légèrement froids. Ca, elle était habituée, Tsukio Storw étant d'un naturel peu enclin à la conversation.

- Pourquoi avoir choisi notre école ? Demanda-t-elle enfin, cessant son tri et posant sa tête sur ses mains. Il existe énormément d'écoles... mais il est vrai que celle-i est la seule à prôner la différence et la diversité et à mettre sur un pied d'égalité humains et hybrides... Alors, dites-moi, mon cher monsieur Miketsukami, êtes-vous, tout comme moi, un grand défenseur de la paix ou Lost School était la seule à vous accepter aussi vite ?

Son sourire était mystérieux et son regard avait quelque chose d'ensorcelant. En effet, Dalya avait de cela d'être séduisante même en ne cherchant pas à se mettre en valeur. Peut-être était-ce pour cette raison qu'un grand nombre de professeurs de Lost School étaient des hommes... ? Qui sait mais qu'importe. Pour le moment, la jeune femme cherchait à cerner son nouveau collègue pour, à l'avenir, savoir le gérer et s'entendre avec lui.

La jeune femme écouta avec attention son discours et nota mentalement chaque élément de ce qu'il disait. Donc il n'était pas un combattant pour la paix et doutait que celle-ci puisse être rétablie. Dalya ne dit rien, le laissant continuer et restant un long instant silencieuse à le fixer droit dans les yeux sans ciller, toujours un sourire mystérieux aux lèvres. Elle remarqua néanmoins qu'il parlait avec moins de froideur et semblait moins renfermé. Aurait-elle donc réussi à le faire parler un peu ? Tout en reprenant son tri en passant son doigt sur sa langue pour faire passer les pages plus vite, elle lança sans méchanceté :

- C'est à cause de gens comme vous qui doutent encore de l'humanité qu'aujourd'hui la paix est si fragile et loin d'être stabilisée. Si tout le monde se mettait à y croire, nous pourrions écraser les minorités hybrides et humaines qui continuent les attentats et qui continuent de prôner le racisme. Après tout, monsieur Miketsukami, vous êtes un Kitsune et je suis une humaine... pourtant nous ne sommes pas en train de nous battre mais bien de parler et de lier connaissance, n'est-ce pas ? Elle leva son regard brillant vers le sien et marqua une pause. Si nous en sommes capables, pourquoi douter encore de la paix ?

La jeune femme rabaissa les yeux sur ses papiers et redevint silencieuse, laissant ses questions rhétoriques flotter dans l'air. Elle était satisfaite de sa répartie et d'avoir trouvé de quoi contrecarrer les arguments du jeune professeur. Peut-être s'investirait-il un peu plus dans la paix à présent qu'elle avait trouvé des mots pleins de sens.

La jolie rousse pensait la discussion terminée et que Soushi allait se lever et la laisser alors elle reporta son attention sur les commandes des professeurs. Elle était plongée dans un calcul compliqué et fronçait les sourcils en soupirant, remarquant que le professeur d'Espagnol réclamait un nouveau manuel alors que l'année précédente, elle avait déjà du en commander des neufs. Dalya attrapa un stylo et raya la commande du livre d'espagnol, jugeant qu'il se contenterait des livres de l'année passée. Alors qu'elle repartait dans ses mathématiques, le nouveau professeur assis devant elle, l'interrogea à son tour, posant une question à laquelle elle ne pouvait pas se permettre de répondre.

Dalya s'humecta les lèvres sans lever le nez de ses papiers puis nota vaguement le résulat qu'elle avait obtenu avant de soupirer légèrement et de relever son regard d'améthyste vers le jeune homme. Elle resta un long instant à scruter le regard d'azur de son employé, toujours aussi silencieuse. Elle déglutit plusieurs fois, une boule dans la gorge. Ses sourcils étaient froncés, son regard légèrement soucieux et son visage sans expression. Finalement, elle ouvrit la bouche et sa voix se fit ferme :

- Je suis venue ici par choix pour enseigner l'italien, ma langue natale. L'ancien directeur m'a donné sa place car pour lui j'étais le meilleur symbole de la tolérance et de la paix. Il savait qu'avec mon caractère, les professeurs finiraient par se plier à mon autorité et que je ferai vivre cette école malgré mon absence totale d'expérience dans le domaine. Aujourd'hui, beaucoup pensent qu'il a eu raison de me confier Lost School car plus les mois passent et plus notre popularité grandit. Est-ce suffisant pour satisfaire votre curiosité, monsieur Miketsukami ?

Elle n'était pas froide mais la question de sa présence ici l'avait dérangée car les véritables raisons qui l'avaient amenées à Lost School étaient secrètes et devaient le rester à tout jamais. Elle continua de le toiser de son regard semblable à deux joyaux rares, attendant une quelconque réponse de son interlocuteur qui, elle l'espérait, n'essaierait pas d'entrer dans les détails de son si mystérieux et inconnu passé en Italie. Finalement, il sembla avoir faim. Dalya arqua un sourcil lorsqu'il lui demanda si la cafétéria était ouverte. Elle se leva et alla chercher deux brochures sur une table d'exposition. Elle revint vers lui et les lui tendit.

- Oui, c'est ouvert. Voici un plan de l'école et les horaires d'ouverture de notre cafétéria, expliqua-t-elle d'une voix plus douce que précédemment. Si vous avez la moindre question, il vous suffit d'aller voir ma secrétaire qui vous guidera là où je suis. Elle sait toujours où me trouver... une véritable magicienne !

De nouveau, elle lui fit un clin d'oeil avant de se rasseoir sur sa chaise pour continuer à travailler sur les commandes de fournitures.